Impôt progressif ou impôt proportionnel : les Français partagés sur la notion de « justice fiscale »

Un sondage Harris Interactive-Institut Vauban du 16 janvier met en lumière les deux définitions qui opposent les Français sur le sujet de la « justice fiscale » en matière d’imposition des revenus des personnes physiques, révélant ainsi deux logiques contradictoires.

D’une part, une logique égalitaire. Ici, la notion de « justice » admet une même règle d’imposition pour tous. C’est-à-dire un taux identique attribué à l’ensemble des contribuables. L’impôt est alors proportionnel : si un contribuable gagne 2 fois plus, il acquittera 2 fois plus d’impôt (en valeurs). Notons que les plus riches continueront de payer davantage d’impôts mais l’ensemble des contributions sera proportionnellement réparti entre les contribuables. Plus simple et plus clair, il existe déjà en France et constitue même la majorité de nos contributions à travers la TVA et la CSG principalement.

D’autre part, une logique que l’on peut qualifier d’« égalitariste »qui est motivée par la volonté de rapprocher au maximum les revenus nets d’impôts des contribuables, entre les plus et les moins aisés. Ici, cette notion appelle donc l’application d’une règle qui diffère selon le contribuable : c’est l’impôt progressif, dont le taux augmente avec les revenus, afin de limiter les écarts de richesse entre les ménages. C’est le système choisi en France depuis une centaine d’année, à l’initiative de Joseph Caillaux, pour l’Impôt sur le Revenu. Il se traduit aujourd’hui par une hyper-concentration de la charge fiscale sur une petite partie des Français : 80% des recettes de l’impôt sur le revenu sont en effet supportés par 20% des contribuables et alors même que plus de 50% des Français ne sont pas imposés à cet impôt, contrairement à la CSG payée par tous.

Ce sondage dévoile que près de 80% des sondés se prononcent en faveur du système égalitaire à taux unique, lorsque l’on évoque l’impôt en valeurs. Contre toute attente, une majorité d’entre eux se prononcent à l’inverse pour un impôt progressif lorsque la question est posée en terme de taux d’imposition.

Le Grand Débat National lancé cette semaine nous offre l’occasion de rediscuter de cette question essentielle qu’est la justice fiscale : voulons-nous une égalité de la règle ou plutôt tendre vers une égalité de revenus ? Quels sont ses objectifs, à quoi doit servir l’impôt ? Car avant toute avancée politique, nous devons répondre à ces questions. Tout le monde doit-il participer à l’impôt sur le revenu, même symboliquement ? Doit-il permettre d’uniformiser davantage le pouvoir d’achat ? Autant de questions qui seront essentielles dans notre débat afin de déterminer ensemble l’impôt que nous voulons : redistribution, financement de l’État, soutien économique par des niches ou à la famille par le quotient familial.

Il faut savoir qu’à force de multiplier les abattements et les niches fiscales depuis 30 ans, nous avons perdu de vue l’essence-même de l’impôt. Aujourd’hui, le constat est sans appel, et la crise présente le confirme : l’impôt français est devenu illisible, incompréhensible et inefficace économiquement. La France a la particularité d’avoir les taux d’impôts parmi les plus élevés pour un rendement des plus faibles. Conséquence, le consentement à l’impôt recule et c’est notre cohésion nationale qui est mise en danger. Un climat de suspicion se développe dans lequel certains contribuables ont la sensation de payer pour le voisin, ou que le voisin devrait payer davantage…

Il a, en outre, été établi qu’un impôt proportionnel, assorti de mesures d’amortissement pour les contribuables les plus modestes, était plus efficace, en témoignent les nombreux exemples en Europe de l’Est. Ce débat n’est pas nouveau : en France, certains experts de la fiscalité appellent à l’élargissement de l’assiette fiscale – le nombre de contribuables imposables – et à une baisse des taux qui permettrait d’inciter à l’activité économique. Cette clarification et cette simplification de l’impôt pourraient, en plus de renforcer le consentement et la cohésion sociale, faciliter la lutte contre la fraude fiscale et effectuer des économies de recouvrement.

Le Grand Débat National est une formidable opportunité pour nous de réformer en profondeur notre fiscalité. J’appelle ainsi de mes vœux une première réforme qui, même si elle s’opposerait à certains principes constitutionnels – comme celui de la progressivité obligatoire de l’IR – que nous pourrions tout de même contourner, constituerait une première étape vers un impôt proportionnel, en fusionnant la CSG ET l’IR. Rappelons-le : nous sommes taxés deux fois sur nos revenus, une fois proportionnellement, une fois progressivement ! Les contribuables soumis à l’IR payent ainsi de l’impôt sur de l’impôt !

Ce nouvel impôt pourrait être alors constitué de deux taux. Un premier palier autour de 5 à 8% afin de ne pas déstabiliser les plus bas revenus. Le second taux, dit « taux normal », se déclencherait, quant à lui, passé un certain niveau de revenus, et devrait être défini autour de 15%, comme dans la plupart des recommandations sur le sujet.

Les avantages de cet impôt proportionnel à deux taux résident dans sa clarté et son efficacité en termes de rendement et d’incitation au développement de l’activité économique. Notre État a besoin de l’impôt pour vivre, et nous avons besoin de l’État en de multiples occasions : éducation, santé, transports, aides sociales. Devoir reverser une partie de ses revenus à l’État après les avoir légitimement gagnés doit redevenir une acte citoyen compris et consenti. Une bonne réforme de notre fiscalité sera celle qui permettra à notre État de remplir pleinement son rôle dynamiseur et protecteur, tel que nous l’aurons défini au cours du Grand Débat National, tout en ne faisant pas pencher la balance du ressenti au-delà du seuil de l’injustice, car sans un minimum de consentement à l’impôt, comme aujourd’hui, c’est tout notre pays qui vacille.

Donc, progressivité ou proportionnalité de l’impôt, le débat est ouvert…

Manon LAPORTE
Première Vice-Présidente de l’Alliance Centriste
Avocate fiscaliste, docteure en droit
Conseillère régionale d’Ile-de-France